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ALEXANDRE DUMAS FILS.

Il en est une au moins, immédiate, celle-là, et contre laquelle l’auteur s’est pourtant élevé quelquefois. Le théâtre donne à l’argumentation un tel relief que la conclusion en est inévitablement prise au pied de la lettre. Ici encore, voyez le malentendu entre le législateur et le dramaturge. La logique de la scène aboutit à un point qui dépasse de beaucoup la logique de la morale. Et, comme au cours du drame l’auteur a pris mille soins pour identifier l’une à l’autre, ou masquer les défaillances de l’une par les adresses de l’autre, il se trouve qu’une conclusion extrême et pathétique est prise par nous pour la quintessence de la morale ci-incluse, pour un postulat de la doctrine, tandis qu’elle n’est que le dernier terme d’un raisonnement formel et d’une déduction dramatique. Le comte de Lys tue l’amant et épargne la femme. Claude tue la femme, et épargne l’amant. Tue-le ! Tue-la ! Spectateur, ravi par le mouvement de la pièce, en proie à l’émotion qui s’y développe si victorieusement que je me sentirais capable, moi aussi, de supprimer la coquine, je souscris à cette exécution et j’y applaudis volontiers ; mais instruit par l’auteur que c’est vraiment la justice divine qui s’accomplit, que j’assiste à l’œuvre meurtrière d’un Idéal supérieur, je réfléchis (le penseur l’a voulu), et je me dis qu’à tout prendre, cet Idéal n’est pas aussi supérieur qu’il en a l’air, qu’il répugne même à la plus simple conception de la justice terrestre, et aux plus vagues sentiments d’équité instinctive et innée en moi. Et je remarque encore qu’il y a là-dessous quelque casuistique offensante pour la raison, que le comte ne tue point Diane, parce qu’il l’aime, et que Claude tue Césarine, parce qu’il ne l’aime plus. — Mais Césarine est une voleuse. — Où a-t-on pris que le vol soit puni de mort ? — Mais Césarine est plusieurs fois adultère. — Que ne s’est-il décidé plus tôt ? Où est le flagrant délit ?… Et je songe enfin que voilà une morale étrangement civilisatrice, singulièrement édifiante et réformatrice