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LE THÉATRE D’HIER.

que celle qui enseigne alternativement ce précepte : tue-le ! tue-la ! M. Dumas répond que le « tue-la n’est que le total mathématique des erreurs de la loi », et non un précepte ni un enseignement. Je vois ce que c’est : à savoir une déduction logique, dramatique, qui, pour venger la morale, la viole ; et j’ai grand’peur qu’ici surtout il ne soit plus légitime d’admirer cette science du théâtre que de se rendre à cette prescience d’une justice humanitaire, et par trop rudimentaire aussi.

Joignez que le réalisme scénique ne va pas sans une certaine altération du vrai, et que particulièrement le système dramatique de M. Dumas pousse l’unité et la logique à ses limites extrêmes. Au point de vue du spectacle, c’est une force incomparable ; au point de vue philosophique, c’est pure illusion. Légiférer sur la scène ressemble à l’erreur d’un Gulliver, qui aurait prétendu appliquer à Lilliput des lois destinées à régir des géants. Le monde du théâtre est un monde de géants, à la formation duquel concourra toujours, pour une bonne part, l’imagination ; un monde vu d’un certain biais, soumis à la rigoureuse déduction dans l’œuvre de M. Dumas, et qu’un sage équilibre tient en suspens dans celle d’Émile Augier. Or, je vous le demande, la logique absolue et exaspérée ne risque-t-elle pas d’être une maîtresse d’erreurs dans notre monde, à nous, où presque tout n’est qu’opinion, incertitude et probabilité ? M. Dumas choisit son point de départ à son gré, pousse droit devant lui, supprimant tous obstacles sur son passage, et arrivé au but, quelquefois au delà, il respire, s’essuie le front, et dogmatiquement, froidement, du ton d’un législateur qui a bien travaillé, nous dit : « Voilà le vrai. Voilà la déduction nécessaire et proprement faite. Tout le reste n’est qu’hypocrisie ou fausseté. Là aboutit mon raisonnement ; là gît la morale absolue. » D’accord, s’il est prouvé qu’une telle morale existe autre part que sur le