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ALEXANDRE DUMAS FILS.

dentés d’une allure souple et d’un enchaînement serré. Il a eu dès le début ce mérite, qui apparaît déjà dans Diane de Lys.

« … Je trouve notre métier si bête ! Vous me demandez ce qu’elle représente, ma statue ?… Elle représente une Vénus, puisque nous sommes condamnés aux Vénus, nous autres sculpteurs… Vénus de Médicis, Vénus accroupie, Vénus Callipyge, Vénus pudique, Vénus anadyomène, toujours Vénus. Tant que nous n’avons pas fait une Vénus, on dit que nous ne savons rien faire. Dés que nous avons fait une femme nue, on dit que c’est une Vénus… et dés que notre Vénus est faite, on dit qu’elle ne vaut pas la Vénus de Milo… une femme qui a la tête trop petite, la gorge trop bas, le cou trop fort, les jambes trop longues et pas de bras… Ah ! quel métier absurde…! »


Ce n’est ni la sage ordonnance d’Émile Augier, ni la subtile trame de M. Pailleron : c’est une fièvre de logique dramatique et pittoresque. Fait-il parler un phraseur ? L’écheveau s’emmêle, s’embrouille et se dévide tout de même, comme par miracle. Lisez plutôt le couplet de Chantrin sur le cigare. En l’espace de quelques secondes, il produit l’illusion d’un discours qui durerait cinq minutes. La belle barbe de Chantrin fait merveille.

Cette lucidité haletante de la composition déblaye des scènes entières sans prendre un repos. Depuis que le président des assises s’abstient du résumé, il faudra chercher dans l’œuvre de M. Dumas le souvenir et le modèle du genre. Je prie MM. les avocats stagiaires de relire dans le Demi-Monde la dernière scène du iiie acte, dans la Princesse Georges la dernière scène du iie et un peu partout la dernière scène qui précède la crise.

« Vous m’avez trompé. » — « Non. » — « …Me direz-vous que l’acte est faux ? » — « Non. » — « …Ainsi vous rétractez tout ce que vous avez dit ? » — « Tout. Elle est de bonne famille, elle a été mariée, elle est baronne, elle est veuve, file vous aime, elle n’a jamais été pour moi qu’une étrangère, elle est digne de vous. Quiconque dira le contraire sera un calomniateur ; car c’est être un calomniateur