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HENRY BECQUE.

M. Laffont[1], vous jouez les Alfred. Voici que tous prenez en main les intérêts de la maison, le soin de son honneur, de votre honneur, par un délicieux sophisme, qui vous met en fâcheuse posture, celle de M. Alfred précisément. Du second plan, qui était le seul enviable, vous passez au premier, qui vous rend grotesque à plaisir. Car enfin, vous faites un sot métier, dont vous n’avez les privilèges que par intérim. Quelle désobligeante attitude est la vôtre ! Je soupçonne que vous en souffrez. J’en suis certain, à présent que vous invoquez l’amour, que vous tournez à la morale, vous aussi, que vous prêchez et sermonnez : d’ailleurs vous êtes à ravir dans ce personnage. Vous jouez les Alfred, M. Laffont, je vous dis que vous les jouez. Vous êtes très fâché, cela vous gêne, vous devenez obsédant et lâche, immédiatement au-dessous du mari, vous, le héros, le préféré, l’amant : bon égoïste, âme candide et jobarde, qui avez pensé mettre le feu à un cœur sensible, au lieu que vous avez occupé l’ennui et diverti l’imagination d’une femme coquette, capricieuse, excédée de loisirs. Vous mourrez dans l’impénitence finale, avec vos illusions, et réfractaire à cette croyance, consolante pour nous autres mandarins, que de nos jours tous les hommes se ressemblent aux yeux des femmes : crédules jusqu’à la niaiserie, uniformes autant que la plate réalité, que M. Becque a si finement observée ici.

Oui, tous, même ce niais de Michel Pauper, qui est le plus misérable, parce que son amour était fait de généreuses illusions et de charité primesautière. Ôtez à Michel son caractère de bienfaiteur, et il devient ridicule, comme les autres. Comparez-le, en revanche, au Pierre Chambaud d’Émile Augier, et vous verrez combien M. Henry Becque observe différemment. L’un est un savant, amoureux d’une fille riche ; d’abord le coup de foudre, puis le mariage, le beau mariage, et les con-

  1. La Parisienne.