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déjà publié dans le National de 1847, est en grande partie dirigé contre feu M. Fauriel, qui mettait sur le compte de copistes ignorants les répétitions que l’on rencontre dans la plupart des chansons de geste, surtout dans les plus anciennes, comme Gérard de Roussillon, Garin le Loherain, Renaud de Montauban et Roncevaux. La conjecture de M. Fauriel était susceptible de controverse, et cet esprit distingué l’avait présentée avec une réserve dont il fallait lui savoir gré. On conviendra d’ailleurs que, sous le point de vue d’une composition régulière, il est impossible d’approuver et de justifier le plus grand nombre de ces répétitions. Elles sont doubles, triples, parfois décuples, et les détails sont fréquemment en contradiction l’un avec l’autre. Mais on ne doit pas oublier non plus que les chansons de geste étaient répandues dans toutes les provinces de France, et qu’on ne les y chantait pas avec le même accent ni dans le même dialecte. Ces premières transpositions donnèrent naissance à des changements plus graves. Les jongleurs, quand ils se piquaient d’invention, ajoutaient à l’original qu’ils avaient appris des circonstances nouvelles. Leurs additions paraissaient-elles bien trouvées, les copistes leur donnaient place dans l’ancien poëme. Ceux qui les chantaient trouvaient de nombreux avantages à ces répétitions. Quand leur auditoire ne semblait pas assez nombreux, assez attentif, ils pouvaient ainsi gagner du temps et attendre un moment plus favorable pour aborder les beaux morceaux et commencer leur quête. Dans l’étude de ces compositions singulières, il ne faut jamais séparer les auteurs des acteurs, le trouvère qui composait du jongleur qui représentait.

On voit dans le Roncevaux plusieurs exemples de ces couplets intercalés. Quand Roland entend Ganelon le désigner pour conduire l’arrière-garde, il en témoigne une joie naturelle ; c’était pour lui l’occasion de nouveaux exploits :

Li quens Rollans quant il s’oï juger,
Dunc a parlé à lei de chevaler :
« Sire parastre, mult vos dei aver cher,
L’arrere-garde avez sur mei jugiet ;
N’i perdrat Karles, li reis qui France tient, » etc. (Ch. II, v. 91.)

Mais tout aussitôt, dans le couplet suivant, voilà que Roland se montre indigné contre son beau-père :

Quant ot Rolans qu’il est en rere-guarde,