Page:Paris, Paulin - Nouvelle étude sur la Chanson d’Antioche.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 8 —

ait dû souvent remplacer par une forme impersonnelle les je et les nous de l’original[1].

La présence de Richart au milieu des croisés est pourtant attestée plus d’une fois dans la Chanson renouvelée. Avant de nommer les principaux chefs de l’armée persane campée devant Antioche :

Moult est grans la bataille et fort li caplisons,
Nonante rois i ot, sans les autres barons.
Cil qui la chanson fist sot bien dire les noms,
Ricars li pelerins de cui nos le tenons.
(T. II, p. 960.)

Ces noms de rois ou émirs, Graindor les reproduit d’après Richart, sans que nous soyons pourtant obligés de les en croire sur parole ; mais ce qu’il faut remarquer, c’est qu’au début du treizième thème de Tudebode, ajouté certainement plus tard, on revoit la plupart des mêmes noms, qui sont attribués aux anciens rois d’Antioche. Cette nomenclature forme, dans le récit de Tudeborde, un singulier hors-d’œuvre qui doit avoir eu pour point de départ la liste des rois ou émirs persans de notre chanson.

L’auteur espagnol de la Gran conquista d’Oltramar ne doutait pas non plus que Richart le pèlerin n’eût accompagné les premiers Croisés en Orient. On sait que la Gran conquista est une sorte de compilation librement traduite au treizième siècle de nos plus anciennes chansons de geste, et particulièrement de l’Antioche. Voici donc ce qu’on y lit :

Pero contar vos hemos lo que dijo Ricarte el pelegrino que fa acerto en aquella batalla, e despuis fa canon de

  1. C’était l’usage des compilateurs et traducteurs du moyen âge de tenir peu de compte de ceux dont ils recueillaient les ouvrages. Dans la Chronique générale des Croisades, le livre de Villehardouin est introduit sans qu’on avertisse du nom de celui auquel on le devait. Le traducteur de Guillaume de Tyr se contente de traduire les fréquents ego vidi, ego dixi par : cil qui fit, ou : si com tesmoigne cil qui fist le livre, sans ajouter que cil était l’archevêque de Tyr.