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Richart aurait-il pu s’exprimer ainsi, sans avoir été témoin, pour ainsi dire, de cette belle scène ? Ne l’aurait-il racontée qu’à vingt-cinq ou trente années de distance ? Personne, je crois, ne devra le supposer.

Enfin, à défaut de témoignages aussi clairs et aussi décisifs, nous avons celui de Lambert, curé de la ville d’Ardres en Artois, et nous pourrions nous en contenter. Lambert, dans les dernières années du douzième siècle, avait recueilli la chronique des seigneurs d’Ardres à la suite de celle des comtes de Guines, d’après les récits qu’en faisait un petit-fils d’Arnoul le Vieux, seigneur d’Ardres. Arnoul, malgré ses cinquante ans, avait partagé les fatigues de la croisade : il était parti avec le comte de Flandres, et n’était revenu qu’après avoir assisté à la prise de Jérusalem. Nous ne doutons pas qu’il n’eût fait alors ce qu’on avait droit d’attendre d’un preux chevalier ; mais ses faits d’armes n’avaient pas jeté un grand éclat, puisque son nom n’est cité dans aucune des relations de la première croisade. À son retour, il entendit chanter les prouesses de ses parents et de ses voisins, les comtes de Gand et de Saint-Pol. Pour expliquer le silence gardé sur les siennes, il assura qu’on aurait également parlé de lui, s’il eût consenti à donner au trouvère auteur de la Chanson d’Antioche une paire de chausses écarlates qu’il lui avait demandées. Qu’on partage ou non l’indignation du petit-fils d’Arnoul, le passage est trop curieux pour ne pas avoir ici sa place :

Sciendum est quod in Antiochenorum expugnatione, hic Arnoldus senex, inter multos multarum nationum proceres, animi virtute non minus quam præstantis corporis in militia probitate, cum primis annumeratus est primus... Et tamen, Antiochenæ commendator cantilenæ, avaritiæ zelo ductus et magis cupidus temporalis lucri retributionis, quam Arnoldus laudis humanæ, quia Arnoldus eidem scurræ duas caligas denegavit scarlatinas, de eo dignæ promeritæ laudis præconium et gloriam subticuit ; et de eo, in cantilena sua, in qua ficta veris admiscens, multa multorum nihilominus