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Page:Paris, Paulin - Romans de la Table Ronde, tome 2.djvu/25

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CONCEPTION.

et sans lumière, elle avait, dans son chagrin, oublié de se signer, pensa qu’elle était bien hors de la garde de Dieu. « C’est le moment, » dit-il, « de faire venir celui d’entre nous qui a pouvoir de prendre forme humaine et de connaître les femmes. » Ce démon répondit à ce que l’enfer attendait de lui : il vint trouver la jeune fille et se tint avec elle durant son sommeil. Quand elle fut réveillée elle se signa : « Sainte Marie que m’est-il arrivé ? Ah ! Vierge sainte, priez votre cher Fils, votre Père tout puissant de garder et défendre mon âme de l’Ennemi ! Mais il était trop tard ; le démon en était venu à ses fins, Merlin était conçu.

(Je n’entends pas reproduire ici toute la première partie du roman : il suffira d’en signaler les traits caractéristiques. Mais, avant d’aller plus loin, quelques mots sur le style du prosateur. Le Saint-Graal et le Merlin nous offrent assurément un des premiers essais de cette prose française, appelée à répandre tant d’éclat, à devenir l’expression de tant de chefs-d’œuvre. Non qu’elle ait encore la force, l’ampleur et la variété qui devront plus tard la distinguer ; mais son allure est déjà facile, harmonieuse : elle a le secret du dialogue, secret charmant qu’aucune autre langue ne devait posséder au même degré. Enfin elle n’a rien de gourmé,