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SUR LES COMMANDEMENS DE DIEU.

image parfaite de l'immobilité de sa volonté entre deux délectations égales. De sorte que, pour finir cette comparaison, comme cet homme ne seroit pas remis en sa liberté par ses chaînes contraires, et qu’il ne pourroit l’être que par le brisement de ses chaînes : ainsi l’homme ne peut pas être remis dans l’indifférence par l’égalité de ses convoitises contraires, et il ne pourroit l'être que par la délivrance de ses deux convoitises : si bien que comme l'homme n’est jamais délivré en cette vie de toute la concupiscence, il est clair par ces principes qu’il ne peut rester dans cette indifférence prochaine de sa première condition. Hoc non est amplius in viribus, etc. Ainsi saint Augustin n’a jamais entendu que l’homme pût sortir du péché et de la convoitise où sa corruption l’a précipité, s’il n’en est tiré par une délectation plus puissante, non pas seulement aussi forte, mais plus forte et absolument victorieuse, comme il se voit par tous ses écrits.

Vous voyez par là combien ce pouvoir prochain est contraire aux lumières du sens commun et aux maximes de saint Augustin, outre qu’il est si ridicule de lui-même, qu’il ne peut être proposé sérieusement ; car, comme l’homme change à toute heure et ne peut jamais demeurer en même état, il faudroit qu’à mesure qu’il s’attache ou se détache des choses du monde (ce qui est toujours dans son pouvoir, plus ou moins, quoique non pas entièrement), il faudroit, dis-je, que cette délectation de la grâce, pour le mettre toujours dans ce pouvoir prochain et cet équilibre, changeât aussi à toute heure pour suivre son inconstance ; et, ce qui serait monstrueux à la grâce qu’elle augmentât à mesure qu’il s’attache plus au monde, et qu’elle diminuât sa force à mesure qu'il s’en détache.

Nous trouvons une nouvelle preuve de cette vérité dans la raison que saint Augustin apporte du délaissement des justes car ; s’il établit partout que la rechute est permise pour leur apprendre à n’espérer qu’en Dieu ; n’est-il pas visible qu’il n’y a rien de si contraire à ce dessein, que de les assurer qu’ils ont toujours le pouvoir prochain de prier, puisque la prière est toujours certaine d’obtenir sa demande ? Mais, si l’on veut savoir la cause pourquoi ils ont quitté Dieu, il en donne pour unique raison que Dieu les avoit laissés à leur libre arbitre. Et, si l’on demande pourquoi, étant justes aussi bien que les élus, Dieu les laisse à leur libre arbitre, et non pas les élus, il déclare que c’est par un jugement caché. D’où il se voit que ce n’est point pour avoir mal usé de la grâce qui étoit en eux, ni pour s’être attribué l’effet de la grâce ; car en ce cas le discernement n’auroit pas une cause cachée, mais bien connue. Enfin ce n’est pour aucune raison qui puisse nous être connue, puisque c’est par un jugement occulte ; ce qui est d’une si grande force, que je vous la laisse à exagérer. Et comme saint Augustin parle en ces endroits de tous les réprouvés qui ont quelque temps la grâce, on voit de quelle manière leur chute arrive, par cette connoissance qu’il en donne.

Car qui ne sait que c’est un principe indubitable dans la doctrine de saint Augustin, que la raison pour laquelle de deux justes, l’un persévère, et l’autre ne persévère pas, est un secret absolument incompréhensible ? D’où il se voit que tous les justes n’ont pas le pouvoir prochain