de persévérer, puisque, si le différent usage que leur libre arbitre feroit de ce pouvoir étoit la cause de leur discernement, il n’y auroit point de mystère. Qui ne sait que dans saint Augustin, tous les élus, c’est-à-dire tous ceux qui persévèrent, persévèrent par une grâce qui les fait persévérer très-invinciblement, et sans laquelle ils ne pourroient pas persévérer ? Qui ne sait quelle différence il met entre la persévérance d’Adam et des anges, et celle des hommes d’à présent ? Qui ne sait que c’est Dieu qui donne la persévérance dans l'oraison : que la grâce se fait désirer, et opère dans l’homme tout le bien qu’il fait : que les justes sont retenus en cette vie, jusqu’à ce que la grâce ait rendu leur volonté bonne, et en sont ôtés lorsque leur volonté deviendroit méchante ; et qu’au contraire les réprouvés qui sont justes, sont laissés en cette vie jusqu’à ce que leur volonté soit changée, quoiqu’ils pussent en être ôtés auparavant ?
Qui ne voit, dans tous ces principes, la fausseté de cette proposition, que les justes ont toujours un pouvoir prochain de persévérer au moins dans la prière ? Car si cela est, et que ce pouvoir soit prochain, et non pas tel que la grâce suffisante des thomistes, qui n’a jamais son effet, mais qu’il soit véritablement prochain, il s’ensuit qu’il pourroit arriver (ce qui implique) que les justes même réprouvés seroient persévérans ; qu’il n’y a nulle différence entre la persévérance d’Adam ou des anges, et celle d’aujourd’hui ; qu’il n’y a plus de mystère dans le discernement de ceux qui persévèrent d’avec ceux qui ne persévèrent pas ; et enfin toutes les absurdités contraires aux chefs de la doctrine du docteur de la grâce ; et, parce que les passages où il établit tous ces points ne vous sont peut-être pas familiers, je vous en donnerai ceux que j’ai en main. « Il arrive que chacun de nous sait quelquefois entreprendre, faire et accomplir une bonne œuvre, et quelquefois ne le sait pas : quelquefois il y sent de la délectation, et quelquefois il n’en sent point ; afin d’apprendre que ce n’est point par notre puissance, mais par le don de Dieu, que nous savons et que nous sentons cette délectation, et qu’ainsi nous soyons guéris de la superbe, et que nous sachions combien véritablement il est dit que le Seigneur donnera la délectation, et que notre terre donnera son fruit. » (Aug. , lib. II, De peccat. merit., cap. XVII.)
N’est-il pas visible que dans ce passage saint Augustin établit une sorte d’impuissance où l’on se trouve d’accomplir quelque bonne œuvre, puisqu’il dit que cette délectation ne nous est pas toujours présente, afin que nous apprenions à ne point nous élever ? ce qui ne seroit pas véritable, si nous avions le pouvoir prochain de l’accomplir.
C’est pour cette raison que Dieu guérit plus tard de quelques vices même ses saints et ses fidèles, en sorte que « la délectation qu’ils ont dans le bien soit moindre qu’il ne suffit pour accomplir entièrement la justice. » (Aug. , ibid., cap. XIX.) Et ensuite : « Et en cela il ne veut pas qu’ils se damnent, mais qu’ils deviennent humbles. » N’est-il pas visible que ce dessein de Dieu ne peut réussir dans ses saints, s’ils ont toujours ce secours prochainement suffisant ?
Pesez aussi la force de ces passages : « Cette grâce que Dieu donne aux vaisseaux de miséricorde commence par l'illumination du cœur, et