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Page:Pascal - Pensées, éd. Havet.djvu/126

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PASCAL. — PENSÉES.

raison corrompue a tout corrompu : Nihil amplius nostrum est ; quod nostrum dicimus, artis est[1]. Ex senatusconsultis et plebiscitis crimina exercentur. Ut olim vitüs, sic nunc legibus laboramus.

De cette confusion arrive que l’un dit que l’essence de la justice[2] est l’autorité du législateur ; l’autre, la commodité du souverain ; l’autre, la coutume présente, et c’est le plus sûr : rien, suivant la seule raison, n’est juste de soi ; tout branle avec le temps. La coutume fait toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue ; c’est le fondement mystique[3] de son autorité. Qui la ramène à son principe[4] l’anéantit. Rien n’est si fautif que ces lois qui redressent les fautes ; qui leur obéit parce qu’elles sont justes, obéit à la justice qu’il imagine, mais non pas à l’essence de la loi[5] : elle est toute ramassée en soi ; elle est loi, et rien davantage[6]. Qui voudra en examiner le motif le trouvera si faible et si

  1. « Artis est. » « Rien n’est plus notre fait ; ce que nous appelons nôtre est le fait de l’art. »
  2. « L’essence de la justice. » Mont., ibid. : « Protagoras et Ariston ne donnoient aultre essence à la iustice des loix que l’auctorité et opinion du legislateur… Thrasymachus, en Platon, estime qu’il n’y a point d’aultre droict que la commodité du superieur. » — L’autre la coutume présente. Montaigne, III, 13, p. 136 : « Et de ce que tiennent aussi les cyrenaïques, qu’il n’y a rien iuste de soy, que les coustumes et loix forment la iustice. »
  3. « Le fondement mystique. » C’est-à-dire que c’est là un mystère qu’il faut accepter, comme les mystères de la religion, sans s’en rendre compte. Sur tout ce passage, cf. Mont., III, 13, p. 138 : « Or les loix se maintiennent en credit, non parcequ’elles sont iustes, mais parcequ’elles sont loix : c’est le fondement mystique de leur auctorité, elles n’en ont point d’aultre ; qui bien leur sert… Il n’est rien si lourdement et si largement faultier que les loix, ni si ordinairement. Quiconque leur obeït parcequ’elles sont iustes, ne leur obeït pas iustement par où il doibt. » Cf. idem, III, 9, p. 478.
  4. « A son principe. » C’est-à-dire à la raison qui l’a fait établir, à la justice.
  5. « L’essence de la loi. » En termes modernes, la légalité.
  6. « Et rien davantage. « Ce que Pascal n’emprunte pas à Montaigne, c’est la fermeté et la rigueur géométrique de ce langage, expression d’un esprit aussi entier, aussi inflexible, que celui de Montaigne est flottant.