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UN AMOUREUX

convictions peuvent revêtir, à ce moment de la vie, un caractère de violence presque tragique, qu’est-ce alors qu’il s’agit à la fois pour le jeune homme d’un problème de conscience et d’un problème de cœur ? Le simple énoncé de la situation où se trouvait Jean fera comprendre quelle tempête intérieure le remuait, tandis qu’il surveillait d’un regard follement anxieux la porte du jardin en face de lui. Il aimait une jeune fille. Il s’en croyait aimé. Son unique, son passionné désir, depuis des mois, était de l’épouser, et il se préparait à mettre entre elle et lui quelque chose d’irrémédiable. Il l’avait demandée en mariage. Le père avait apposé à son consentement une certaine condition, et ce 1er novembre avait été fixé, d’un commun accord, comme la date où Jean donnerait une réponse sur cette condition. Que ce fût « oui », et les jeunes gens étaient fiancés. Au lieu de cela, l’étudiant s’était résolu à répondre un « non » qui lui déchirait à l’avance le cœur. S’étant rangé à un parti dont la conséquence était le renoncement volontaire à sa plus douce espérance, que disait la raison ? Qu’il était prudent d’avoir cet entretien de rupture avec M. Ferrand — c’était le nom du père de la jeune fille — sans revoir Brigitte, — c’était son nom à elle. — Par une inconséquence où tous ceux qui ont aimé reconnaîtront le goût, inné aux amants, de se faire du mal à la place la plus blessée du cœur, comme si souffrir, par ce qu’on aime, c’était encore du bonheur, Jean était venu se