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L’OBSTACLE

votre père d’un secours moral aussi efficace que si vous vous étiez toujours montré à lui tel que vous êtes ? Ne me répondez pas… » ajouta-t-il, en arrêtant de la main Jean, qui allait lui parler. « C’est inutile. Ai-je votre promesse pour vos relations avec nous ? »

— « Elles seront ce que vous voulez, monsieur Ferrand, » dit le jeune homme, « et, si j’ai été imprudent… »

— « Le plus sage est que vous suspendiez vos visites chez moi, » interrompit le père, » et que vous évitiez de nous rencontrer, autant qu’il vous sera possible… »

— « J’obéirai, » fit Jean.

— « Bien, » reprit le maître. Il eut, lui aussi, sur les lèvres une phrase qu’il ne prononça pas. Les deux hommes étaient debout, qui se regardaient. Une inexprimable tristesse les étreignait l’un et l’autre. M. Ferrand brisa le premier ce silence. Il tendit la main à celui qu’il souhaitait si passionnément de pouvoir appeler son fils, et il le congédia d’un mot, où tremblait, malgré lui, la crainte de le perdre pour toujours :

— « Nous nous sommes tout dit. Au revoir, j’espère, et bientôt, mon enfant… »

— « Adieu, mon cher maître, » répondit Jean Monneron. Il répéta : « Adieu, » et il sortit du cabinet de travail du philosophe sans tourner la tête.

Celui-ci demeura quelques minutes immobile, absorbé dans une réflexion si profonde qu’il s’en