était exactement de la même taille que son mari. Assise et plus haute de buste, elle donnait l’impression d’être vraiment la maîtresse du logis. C’était l’arbre d’essence plus vigoureuse qui a grandi à côté et aux dépens du voisin étiolé. La différence de tenue entre les deux époux soulignait encore cette antithèse. Été comme hiver, le professeur croyait devoir à la dignité de son métier de porter une redingote noire, d’un drap lisse, dont l’épaisseur variait seule suivant la saison, et qui, boutonnée soigneusement, étriquait encore son maigre torse creusé. Mme Monneron, elle, demeurée fidèle à la tradition niçoise, ne se commandait, chez les diverses petites couturières où ses notes s’accumulaient, que des toilettes chargées et fanfreluchées. C’est ainsi que, devant faire des visites durant cet après-midi d’un jour de vacances, elle s’était harnachée, dès le matin, d’une robe neuve en drap chaudron, fortement soutachée et bordée de bandes de faux astrakan. C’était encore une des formes de son gaspillage, que cette impossibilité de recevoir un costume sans le passer aussitôt. Elle avait transmis ce goût de la toilette à Antoine, son fils favori, qui lui ressemblait tant, avec son beau visage régulier et la chaude pâleur d’un teint où brillaient deux grands yeux noirs, et il arborait lui aussi, à cette table du déjeuner familial, une redingote neuve, en drap pelucheux, qui n’avait rien de commun avec l’étui râpé où s’engonçait son père. La faille des revers, comme aussi la soie fraîche de la cravate, piquée
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L’ÉTAPE