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LES MONNERON

d’une épingle d’or, comme les boutons d’or des manchettes de la chemise, dénonçaient un budget de dépenses personnelles hors de toute proportion avec les ressources avouées du jeune homme. Grâce à la protection d’un député radical, camarade de Monneron à l’École normale, Barantin, l’ancien universitaire, ex-ministre des Finances dans le cabinet Bouteiller, — un autre de leurs copains, — Antoine était entré comme employé dans un des bureaux de quartier du Grand-Comptoir, la banque du célèbre financier Firmin Nortier, aux appointements annuels de dix-huit cents francs. Bien qu’il continuât à demeurer chez son père en payant une pension très minime, dont la secrète complicité de sa mère l’exemptait le plus souvent, ce mince revenu ne justifiait pas cette tenue et encore moins le reste des habitudes de ce joli et dangereux garçon, qui ne se cachait pas assez de fréquenter les champs de courses, les théâtres à la mode et les restaurants de nuit. À côté de lui, et le séparant de leur père, était Julie, cette silencieuse sœur dont les allures inquiétaient son frère Jean. Elle tenait, elle, physiquement, beaucoup plus de son père que de sa mère. Maigre et serrée dans un corsage tailleur, qui exagérait encore sa minceur, elle montrait un visage extrêmement délicat et régulier, auquel une expression bougonne et comme fermée enlevait toute grâce jeune. Ses opulents cheveux noirs — c’était, avec la couleur de ses yeux très foncés, les seuls traits hérités de sa mère — retombaient