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LES MONNERON

un signe, entre mille autres, de l’avortement auquel tout l’effort des siens semblait condamné. Cependant il s’asseyait sur la chaise laissée libre entre celle de son père et celle de Gaspard, lui-même assis auprès de Mme Monneron, et il s’excusait de son inexactitude, en assurant sa contenance, afin de ne pas laisser soupçonner la crise intérieure dont il était la victime :

— « Ma montre m’a trompé, » disait-il, « et, comme je suis allé au delà du Luxembourg… »

— « Tant pis pour toi, » interrompit aigrement la mère, « tu mangeras ce qui reste. Nous ne sommes pas assez riches pour faire un autre déjeuner à chaque personne qui se met en retard… »

— « Je n’ai pas grand’faim, » répondit le jeune homme, « et ce qu’il y aura me suffira… »

La bonne arrivait au moment où Jean prononçait cette phrase, apportant un grand plat de macaroni qui devait faire le second service du déjeuner. Le premier avait été constitué par les côtelettes et les pommes de terre, objet du mécontentement du verveux Gaspard, qui, voyant apparaître les pâtes, les salua de cette exclamation :

— « Du macaroni, chouette ! Si tu n’as pas faim, Jean, cède-moi ton fade… » Puis, regardant le plat et faisant sa lippe : « Flûte alors ! Ils sont au gratin, et Bibi ne les aime qu’aux tomates… »

— « Je n’ai pas su que tu sortais, » dit le père Monneron, en s’adressant à son second fils, et