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L’ÉTAPE

faisant signe au plus jeune de se taire, mais très doucement. Cet excellent homme avait bien remarqué le disgracieux accueil de sa femme au retardataire. Il en avait un peu souffert, et aussi, comme toujours, de l’exécrable ton du petit voyou en tunique. Comme toujours aussi, au lieu d’agir, ce qui, dans l’espèce, signifiait tancer celui-ci et faire sentir à celle-là qu’elle était injuste, le rêveur se réfugiait dans les idées abstraites, et il essayait d’y porter la conversation : « Si je l’avais su, » continua-t-il, « je t’aurais demandé de m’accompagner. Je suis allé au Panthéon, seul, en pèlerinage laïque. C’est ma conviction de plus en plus arrêtée : nous ne détruirons l’Église qu’en la remplaçant. Il faut que nous nous habituions à prendre leurs fêtes aux catholiques, et à les célébrer aux mêmes dates, avec un sens rationnel. Déjà le Jour des Morts n’a quasi plus rien de liturgique à Paris. C’est parfait. Mais il y a une idée très belle dans la fête d’aujourd’hui, qui est celle de tous les saints. Je voudrais que la République célébrât ses saints, elle aussi, et justement le 1er novembre, ceux précisément qui sont au Panthéon, les Carnot, les Baudin, les Victor Hugo, les Michelet… Ah ! que ce dernier a une belle page dans son Banquet, sur cette nécessité de donner au peuple de vraies fêtes qui se substituent aux anciennes, et lui fassent aimer davantage encore la Révolution !… »

— « Tu trouves que les ouvriers n’ont pas assez d’occasions de ne rien faire et de se griser ?