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BERTHE PLANAT

délicatesse l’en empêcha. Il fut cependant au-dessus de ses forces de ne pas aller, cinq minutes plus tard, sous le prétexte d’un renseignement à demander, jusqu’à ce bureau, sur la planche duquel les deux volumes étaient toujours placés. Pendant que la préposée aux emprunts de livres cherchait dans le catalogue un titre donné par lui au hasard, il eut le courage de prendre un de ces deux volumes comme distraitement. Ce fut un premier contact physique avec l’absente, et dont tout son être tressaillit, que de feuilleter ces pages, maniées par elle tout à l’heure. Il constata, non sans une surprise, qui lui fut aussi une douceur, car ce détail ajoutait à ses chances de la retrouver, que ce volume était le premier tome de la Clinique de l’Hôtel-Dieu par Trousseau. L’inconnue était donc une étudiante en médecine. Un morceau de papier laissé entre deux feuilles attira l’attention de l’amoureux. Il était placé vers le milieu de la célèbre leçon sur la Scarlatine, et ces quelques mots y étaient tracés au crayon : « p. 29. devoir médical, à relever. » C’était la jeune fille qui avait jeté là l’indication d’une note à prendre. Lucien parcourut la page des yeux, avec une avidité singulière du regard. Il tomba sur ces lignes, qui lui firent battre le cœur, tant il éprouva de plaisir à associer leur fierté professionnelle et l’image de l’énigmatique et jolie étudiante : « … Depuis longtemps j’emploie ces effusions. Je les ai employées dans ma pratique particulière avant de les administrer à l’hôpital. Car je n’ai jamais rien osé pour la première fois que je ne l’aie fait dans ma clientèle privée. En agissant ainsi dans le monde, ma réputation courait de grands risques, et souvent aussi j’ai été mal