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Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/119

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Jeannine regardait une chose étrange. Son père était là-bas, sur les derrières de l’escadron ducal ; Jeannine reconnaissait bien son cheval et son armure, mais elle ne reconnaissait point sa mâle prestance. Le bon écuyer se tenait en selle mollement et sans grâce, lui, le meilleur homme de guerre qui fût du côté gauche du Couesnon !

— Messire, disait Mme Reine au sire du Dayron son voisin, aviez-vous ouï rapporter que notre seigneur le duc eût si belle mine ?

— Non, en vérité, noble dame, répondit le riche châtelain.

Mme Reine soupira.

— En ma vie, murmura-t-elle, je n’ai rencontré que deux hommes d’armes comparables à notre seigneur le duc feu messire Aubry, mon époux et…

Elle allait ajouter le nom de Jeannin, et ce n’était que justice, quand son regard tomba par hasard sur le bon écuyer. Elle se frotta les yeux et crut rêver. Jeannin n’était plus lui-même. On eût dit qu’un autre corps était entré dans son armure.

En ce moment messire Aubry l’abordait. D’ordinaire la prestance de Jeannin mettait bien bas le jouvenceau ; mais aujourd’hui le jouvenceau faisait honte à l’homme d’armes. Ils disparurent tous deux dans les rangs. Mme Reine se dit :

— J’ai mal vu.

— Ami Jeannin, disait là-bas Aubry en tendant la main au bon écuyer, tu m’as abandonné durant ces deux jours et j’ai fait bien des choses que je n’eusse point faites peut-être si j’avais eu tes conseils.

Jeannin toussa. Aubry le regarda mieux.

— Es-tu malade ? demanda-t-il en se reculant sur sa selle.

— J’ai soif, répondit Jeannin.

— Comme ta voix est changée, ami ! reprit Aubry ; j’espère que tu n’entreras point en lice dans l’état où te voilà.

— Nenni donc ! répliqua Jeannin avec empressement.

— Bien tu feras !… je viens te demander avis.

— C’est boire que je voudrais, interrompit l’écuyer.