Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout instant, Jeannin et le comte Otto disparaissaient comme en un nuage, puis on les voyait reparaître, gardant leur distance, qui peu à peu diminuait. Le bataillon des chevaliers de Bretagne venait ensuite, compacte et séparé de Jeannin par cinq ou six cents pas. Puis c’était un large intervalle avant d’arriver à la tête de la foule.

La foule elle-même se précipitait follement, ivre de son effort et de ses cris, allant, comme toute cohue, pour voir et pour crier. Des hommes d’armes de France la tranchaient au galop de leurs chevaux. Ceux-là couraient pour soutenir les chevaliers de Chaussey qui galopaient en suivant une légère courbe, afin d’être en aide, au besoin, à l’Homme de Fer, leur maître.

C’était une confusion terrible, pleine d’invectives, de plaintes et de clameurs.

Du haut de son estrade et tournant le dos à l’arène complétement vide, le roi Louis XI regardait tout cela. Quelques Français étaient autour de lui. On ne disait mot. Le roi, calme et presque gai, appuyait sa main sur l’épaule de son compère Olivier le Dain. Les autres estrades s’étaient vidées comme par enchantement. Dames et gentilshommes suivaient le flot. Il ne restait pas une âme sur le galet où charrettes et chevaux étaient abandonnés à la garde de Dieu.

Les bruits moururent. Les cris de trahison s’éteignirent. À mesure que la cohue s’éloignait, le fracas sourd et lointain de la mer montante grandissait.

Bientôt la scène apparut au roi et à ses compagnons sous l’aspect d’un serpent énorme déroulant ses anneaux dans la plaine. Au milieu des grèves, en effet, la marche ne peut pas être directe ; mille obstacles se présentent qu’il faut tourner. Le comte Otto, la tête du serpent, faisait de larges circuits ; Jeannin, qui connaissait chaque pied carré des tangues, espérait toujours que le comte se tromperait ou s’engagerait à faux, mais son espérance était incessamment trompée. Jeannin était forcé de le suivre pas à pas ; il n’eût point dirigé la course avec plus de sûreté que le comte Otto lui-même. Au lieu précis où le comte et Jeannin avait passé, l’escadron des Bre-