Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/146

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convulsifs ; il allait par bonds ; ses flancs déchirés ne répondaient plus à l’éperon.

Jeannin sentait cela. Il criait :

— Arrête, traître et lâche ! Arrête, païen maudit !

Le comte Otto se retournait et souriait. Il avait levé sa visière pour donner l’air frais à son front qui ruisselait de sueur. Son beau visage pâle et tranquille semblait railler les efforts surhumains du bon écuyer.

La mer était sur les grèves. La route parcourue par la foule se couvrait d’eau, et le flot taquin poursuivait les traînards. En ce moment même où le comte et Jeannin arrivaient devant le Mont, la mer arrachait les échafaudages du champ-clos et portait à la rive des gradins désemparés.

Les murailles du monastère regorgeaient de spectateurs comme les grèves et le rivage. On ne comprenait rien à cette course désespérée, et chacun cherchait à deviner le mot de l’énigme. Nous pouvons affirmer qu’à cette heure il n’y avait pas un moineau réfectoire ni à l’église.

Le comte Otto avait manqué d’une minute la passe qui regarde Ardevon. Il fit le tour du Mont pour gagner celle qui fait face à Avranches et qui se couvre la dernière. Quand il l’atteignit, ce n’était plus qu’une bande étroite de sable détrempé. Pendant qu’il la franchissait, la mer passa entre les jambes de son cheval. Le cheval de Jeannin, qui suivait à une longueur de lance, eut de l’eau jusqu’au milieu des jarrets, puis la mer étendit son niveau sur la chaussée. Le gros des chevaliers bretons, arrivant à son tour, se trouva en face d’un fleuve salé plus large que la Loire. Il fallut reculer.

La partie n’était plus qu’entre l’Homme de Fer et Jeannin. Jeannin dégaina et donna du plat de son épée à tour de bras dans les oreilles de son cheval qui bondit furieusement. Un autre bond semblable l’aurait mis aux côtés de l’Homme de Fer.

— En avant, bon écuyer ! criaient les Bretons de l’autre côté du canal.

Ils reculaient pas à pas devant la mer victorieuse.