Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/33

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— Vous ne m’avez pas répondu, mon frère, interrompit Jeannin.

— Eh bien ! le sais-je, moi, pour qui je suis ? s’écria le moine bonnement. Le Mont-Saint-Michel est en France, mais si peu ! Nous buvons les pommes de Bretagne. Quant à la question de patrie, je suis né sur la rivière du Couesnon, qui n’est ni ceci ni cela : ma mère avait un pied au pays des ducs, un pied sur la terre du roi. Si mon cœur est breton, ma rate est française. Je te dis, petit Jeannin, Noël pour les bonnes gens ! voilà ma devise.

— L’écuyer de madame Reine écoutait ce bavardage avec une attention grave.

— Alors, dit-il, mon frère, vous n’avez point d’attachement personnel pour le roi ?

— Le roi est mon prochain.

— Point de répugnance particulière pour le duc ?

— Le duc est mon prochain.

— Si le duc voulait assassiner le roi…

— Vrai Dieu ! interrompit l’honnête moine convers, je défendrais le roi !

— Mon frère, dit Jeannin en lui posant sa large main sur l’épaule, voulez-vous m’aider à défendre le duc que le roi veut assassiner ?

Bruno se recula ébahi.

— Et le mariage ! balbutia-t-il, car cette idée ne voulait point sortir de son esprit ; je commence à croire que le compère Gillot, de Tours en Tourainc, n’a pas joué franc jeu. Le mariage était arrangé. Pourquoi les deux beaux-pères veulent-ils s’entr’assassiner maintenant ?

Jeannin n’eut garde de relever la hardiesse de cette expression, « les deux beaux-pères », appliquée à Louis XI et à François de Bretagne, à l’occasion des fameuses fiançailles. Il répéta sa question patiemment.

— Mon petit Jeannin, répondit Bruno cette fois, si nous défendons le duc, te fera-t-on chevalier ?

— Je ne sais, mon frère.