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La responsabilité

Si le substantif responsabilité correspond à un pur concept et non, semble-t-il, à des éléments observables, au contraire l’adjectif responsable intervient comme attribut dans des jugements qui sont des objets d’expérience.

La Cour d’assises qui déclare irresponsable un accusé dément, le juge civil qui rend tel patron responsable du dommage causé par son employé, l’opinion publique protestant que tel séducteur est moralement responsable de l’infanticide pour lequel la fille séduite a été seule condamnée à une peine, prononcent des jugements que nous pouvons appeler jugements de responsabilité. Ces jugements, étant des jugements juridiques ou moraux, ne constatent pas spéculativement un fait ; ils traduisent le sentiment que ceux qui les prononcent ont de ce qui est juste, moralement ou juridiquement obligatoire : par conséquent ils se réfèrent, explicitement ou non, à des règles. Dans nos exemples, la Cour d’assises se réfère à l’article 64 du Code pénal, le juge civil à


    logiques qui pourra fournir la réponse. C’est une question, si les fous sont intimidables ; c’en est une, toute différente, si la responsabilité consiste dans l’intimidabilité. Une analyse purement psychologique ne pourra jamais conduire, par elle-même, à la détermination de l’idée de responsabilité. Car la responsabilité est manifestement une chose juridique ou morale. Si on suppose qu’il n’y a ni droit ni morale, jamais la psychologie ne sera amenée à parler de responsabilité, mais seulement de personnes, de volontés normales ou malades. Le problème de la responsabilité est une question de justice : le résoudre, c’est élaborer une théorie de la justice, du droit, de la moralité. Généralement les théories de ce genre consistent exclusivement dans une dialectique de concepts ; mais si elles sont inductives, il faut que les faits qu’elles interprètent soient du même ordre que les résultats qu’elles visent, donc qu’ils soient des faits moraux et juridiques. Des historiens, tels que Loffler et Glotz, des ethnologues, comme Westermarck, ont bien abordé l’étude de la responsabilité du même point de vue que nous. Ils ont apporté des faits abondants, bien établis, souvent bien expliqués. Personnellement nous leur devons beaucoup. Nous leur reprocherons seulement (cf. chapitre III, p. 203) de n’avoir pas renouvelé les doctrines antérieures autant qu’on aurait pu l’espérer. La notion de responsabilité reste au fond chez eux ce qu’elle était aux mains des philosophes et semble commander l’interprétation des faits plutôt qu’être régénérée par leur étude.