Page:Paul Marchot - Les Gloses de Cassel.djvu/29

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Je ne veux pas non plus m’autoriser de ce fait que la forme du suffixe -ARIUS, -ARIA est dans nos gloses -ar, -eira (§ 5) et de cet autre que AU n’y est nullement vocalisé en o (§ 8). Je pourrais cependant le faire avec quelque raison, puisque les Gloses de Reichenau qui sont un texte français du viiie siècle possèdent déjà le suffixe -ARIUS sous la forme -er (sorcerus, paner) et ont déjà transformé AU en o. On peut, en effet, ruiner ces deux arguments en disant que les Gloses de Cassel sont peut-être antérieures aux Gloses de Reichenau et que la substitution du suffixe -er (*ERUS) au suffixe -ar et le changement de AU en o sont des phénomènes qui ont pu s’accomplir dans l’intervalle.

Je ne m’appuyerai pas davantage sur le fait que ai > ei dans seia et manneiras (§ 5), transformation qu’on ne saurait absolument pas admettre dans le français du viiie siècle, car on pourrait objecter que ces ei sont le résultat d’une simple habitude graphique du scribe allemand[1]. Je crois cependant qu’on se tromperait, puisque le même scribe connaît la graphie ai (aia tutti)[2].

Les deux seules formes que je produirai pour prouver la provenance non française des Gloses sont esilos (§ 4) et meo = MEUM (§ 22), mais elles sont concluantes. En français, les formes répondant à « essieu » ont toutes originairement la diphtongue ai à l’initiale aissil (*AXILE), aissel (*AXELLUM) et ce n’est qu’au xie siècle que la diphtongue ai peut se resserrer en e. Ici, au contraire, nous n’avons pas le même processus : A initial passe directement à e.

Dans MEUM, la chute de l’M qui est un phénomène des langues romanes du midi, est totalement inconnue au français. Et pourtant dans meo l’on ne peut pas voir une faute de copiste, puisque la forme est attestée deux fois.

La conclusion de l’étude grammaticale que j’ai faite de la langue des Gloses de Cassel sera donc que ces Gloses ne sont pas françaises.

Tous les caractères de cette langue que j’ai relevés plaident au contraire en faveur du réto-roman. Je vais montrer, en conservant la même numérotation de paragraphes, qu’aucun des phénomènes que j’ai relevés dans l’étude de la langue des Gloses n’est étranger au réto-roman[3].

  1. « Dans la partie allemande », dit Diez, p. 115, « on ne rencontre jamais ai, mais ei, comme par ex. dans les mots einpar, pein, skeitila ».
  2. Au huitième chapitre on a aussi le roman paioari à côté de l’allemand peigira (les faits du huitième chapitre ne sont pas du reste décisifs).
  3. Liste des abréviations : Gartner. Gram. = Gartner, Rätoromanische Grammatik, Heilbronn, 1883. — Grundriss = Grundriss der romanischen Philologie, hgg. von G. Grœber, Strasbourg, 1886, t. 1. — Cavalli = Cavalli, Reliquie ladine raccolte in Muggia d’Istria dans l’Archivio glottologico italiano d’Ascoli, XII, 255-375.