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ESCHYLE.

donnerai un front plus dur que les leurs. » La légende de sa mort a tout au moins la vérité d’un symbole. On dit qu’un jour que le poète, errant dans une montagne de Sicile, s’était assis au soleil, un aigle, portant entre ses serres une tortue, prit sa tête chauve pour un rocher : l’oiseau lâcha sa proie sur elle, et la carapace de la bête fendit le crâne d’Eschyle en éclats. Cet aigle ne se trompait guère : si l’on classait les phases de l’esprit humain comme les périodes géologiques de la terre, c’est dans l’âge de pierre qu’il faudrait ranger le génie d’Eschyle. Malgré son art admirable et son profond renouvellement intérieur, sa tragédie est, pour ainsi dire, d’ordre cyclopéen. Elle apparaît comme le « Trésor d’Atrée », à Mycènes, construite d’énormes blocs juxtaposés sans ciment. Ses sujets sont vastes comme des épopées ce sont des sièges de villes et des migrations de races, des cataclysmes de peuples et des supplices de géants vaincus. Il les taille à angles droits, sur des plans rigides. La variété des situations, l’animation de la scène, le développement des caractères, les surprises de l’intérêt, la complication des péripéties lui restent volontairement inconnues. Excepté dans l’Orestie, l’action de ses drames se réduit à l’éloignement ou à l’accroissement de la catastrophe qu’ils contiennent. Entre l’exposition et le dénouement, tout mouvement s’arrête. On dirait de grands bas-reliefs