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ESCHYLE.

de vingt-sept ans, et l’horizon d’un siècle semble s’étendre entre eux deux. Un siècle tient en effet dans cet intervalle. Athènes va vite ; destinée à mourir jeune comme Achille, elle a ses « pieds légers », son rapide élan. La carrière que d’autres peuples mettent des âges à parcourir, sa jeune génération, partie de Salamine, la franchit d’un bond. Toute rudesse primitive tombe comme une vieille écorce de cette nouvelle souche ; ses mœurs, ses arts, sa religion même font peau neuve. Elle brise les ébauches de ses origines et refond dans d’autres moules toutes les formes de sa vie publique et privée. Ses dieux se rassérènent, ses marbres se détendent, ses lois se polissent, sa langue s’éclaircit et s’affine. Un rayon de beauté circule comme un sourire sur sa civilisation rajeunie, une ligne d’élégance la parcourt et l’assouplit en tous sens. L’olivier rugueux se couvre de fleurs.

Seul, Eschyle reste sombre et rudimentaire, sourcilleux et rauque, au milieu de cette harmonie et de cette clarté. Imaginez un statuaire d’Égine taillant âprement des divinités archaïques, sur la frise d’un temple dont Phidias sculpte le fronton : c’est l’image du vieil Eschyle concourant avec le jeune Sophocle, aux grandes Dionysiaques. Zeus semblait lui avoir dit comme le Jéhovah biblique au prophète : Tibi dabo frontem duriorem frontibus eorum : « Je te