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ESCHYLE.

vieux dieux ; elle les refit à son image et les doua de son âme. Les gigantesques idoles de l’Orient auraient encombré son délicat territoire, si artistement découpé que l’on a pu le comparer à une feuille de mûrier jetée sur les vagues. Ce qu’il lui fallait pour peupler ses gracieuses montagnes, ses vallées exquises, ses bois clairsemés, ses fleuves exigus, ses détroits qu’un papillon traverse, et les mille anses de ses rivages où la mer se cisèle en s’y insinuant, c’étaient des myriades de divinités souples, plastiques, malléables, inégales de stature et de dignité, mais dont la plus haute ne dépasserait pas l’idéal de la taille humaine. Entre les sculptures gravées sur le bouclier d’Achille qu’Hésiode a décrit, on voit « les hommes marchant, conduits par Arès et par Athénée tous deux en or, vêtus d’or, beaux et grands comme il convient à des dieux, car les hommes étaient plus petits ». Les idoles antiques, dont les dieux nouveaux procédaient, furent comme jetées dans les eaux dormantes du Léthé. Un long silence se fit sur elles ; il ne fut plus question de ces fantômes rebutés. Homère les oublie, Pindare s’en détourne, Sophocle s’en souvient à peine. Le nuage qui les apporta les remporte en s’évanouissant à l’horizon de l’Asie.

Seul au milieu des générations nouvelles, Eschyle garde le respect et le souci des dieux abolis. Il semble même les préférer aux nouveaux parce