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ESCHYLE.

les Divinités vengeresses, et ses appels incessants à leur hras tendu contre les pervers. Un vol de déesses sinistres tournoie sur ses drames, l’œil aux aguets, l’oreille aux écoules. Alé, Adrastée, les Erynnies, les Imprécations, le glaive dans une main, la torche dans l’autre, font des rondes de nuit autour de sa scène.

Le style d’Eschyle est extraordinaire comme son génie ; il fait le bruit d’un orage, il a le cours d’un torrent. Ses contours grecs sont tourmentés par l’hyperbole asiatique. Saumaise s’offusquait de le trouver « pétri d’hébraïsmes », et le savant voyait juste, si le pédant avait tort. Il y a concordance entre la Bible et Eschyle. Cet Athénien a parfois la voix d’un psalmiste ou d’un prophète d’Israël. Mêmes ellipses énigmatiques, mêmes allitérations symétriques, même âpreté de ton et d’accent, mêmes ruissellements de larmes et mêmes éclats d’anathèmes. La langue, chez lui, n’a rien du développement oratoire qu’elle prend dans Sophocle et dans Euripide : elle ne déroule pas la pensée, elle la darde en vers soudains et rapides, isolés comme les flèches que le sagittaire lance de son carquois, une à une. On dirait l’arc de David tendu par la main d’Apollon. Il a des mots chimériques taillés d’un seul bloc, dont le phlattothrattophlattotrat d’Aristophane est la parodie. Rien de comparable à ses chants