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ESCHYLE.

déchirent évidemment sa pensée. Mais si leur angoisse consterne son intelligence, elle n’abat pas sa conscience. Toute son œuvre accuse un âpre souci de la vérité. Il cherche le Dieu vrai dans la foule des divinités illusoires, une providence dans le désordre apparent des choses, la loi sous la fatalité, la justice à travers les talions barbares. S’il n’explique pas ces inexplicables problèmes, il en dégage du moins une foi invincible dans l’équité finale qui régit les destinées de l’homme, et l’ordre du monde. L’idée divine s’épure et se perfectionne sans cesse dans ses drames. Quel progrès des imprécations du Prométhée aux hymnes de l’Orestie ! Le bourreau tonnant du Caucase plane sur la maison des Atrides, dans un rayonnement de toute-puissance tutélaire.

« J’ai tout pesé, et, à mes yeux, il n’y a que Zeus pour soulager l’homme du fardeau des vaines inquiétudes. Qui chante à Zeus un chant d’espérance, verra son vœu s’accomplir. C’est lui qui conduit les hommes dans les voies de la sagesse. C’est lui qui a porté cette loi : la science au prix de la douleur. Même pendant le sommeil, le souvenir amer des maux pleut autour de nos cœurs et, même malgré nous, la sagesse arrive, présent du Dieu assis sur les hauteurs vénérables. »

De cette foi profonde jaillit la sève vertueuse qui circule partout chez Eschyle, sa flamme morale, son souffle sublime, son zèle de la justice, sa haine ardente de l’iniquité. De là aussi son culte spécial pour