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Page:Paul de Saint-Victor - Les deux masques, tome 1.djvu/114

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ESCHYLE.

au Chœur des vierges qui le supplient de ne pas combattre contre son frère : « Je suis aiguisé, tes paroles ne m’émousseront pas. » Ailleurs le fer s’incarne et s’anime, il devient « l’émigré de Scythie, un dur répartisseur d’héritages qui jette aux guerriers les dés de la terre ».

Ce tonnerre poétique détonnait dans l’atmosphère athénienne. Aristophane, si hardi pourtant, s’en moque un peu, tout en l’admirant. Il doit être l’interprète du goût attique, lorsque, faisant lutter Eschyle avec Euripide, il décrit « les mots ampoulés que sa bouche ouverte à deux battants lance, drus et serrés, sans frein ni mesure » ; « ses périodes empanachées, hautes comme des montagnes », « ses mots équestres à l’ondoyante aigrette », et « ses vers liés comme les poutres de la charpente d’un navire ». Mais l’admiration perce sous cette moquerie stupéfaite. Vous diriez le Satyre du bas-relief, qui mesure avec une grimace effrayée l’orteil de Polyphème endormi.

Ce violent génie s’attendrit parfois ; son âpreté se déride, et alors il distille le miel comme le lion de Samson. De rares sourires effleurent sa bouche contractée par le rictus tragique, mais ces sourires sont divins. Aussi bien que Dante, Eschyle est le maître de la grâce comme de la colère.

Ce qu’il faut dire, c’est que, comme tous les poètes