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ESCHYLE.

se ruant d’un seul bond, les taillent en pièces, les égorgent, jusqu’à ce que tous aient perdu la vie. Et Xerxès gémit, penché sur ce gouffre de maux ; car il s’était assis au bord de la mer, sur un haut promontoire, d’où il pouvait voir toute l’armée. Puis il déchira ses vêtements, poussa de grands cris, et il envoya l’ordre à l’armée de terre de se retirer, et lui-même soudainement prit la fuite. Tel est ce nouveau désastre que tu peux pleurer comme le premier. »

Ce n’est pas tout ; le linceul déroulé qu’on croyait cette fois à bout, se rallonge démesurément. Il ne passe plus maintenant hors de ses longs plis que la tête épargnée du Roi et quelques membres mutilés de l’armée détruite. Après la défaite, la retraite à travers les grands pays dévastés : un désert de faim et de soif dévore, groupe par groupe, les hordes éparses qui se traînent dans sa lugubre étendue. Quand on arrive au bord du Strymon, on trouve qu’un hiver précoce a, d’un jour à l’autre, gelé son courant. Ce pont de glace, construit par les vents, paraît d’abord un secours d’en haut.

« Alors, plus d’un qui auparavant niait qu’il y eût des dieux, pria et adora le Ciel et la Terre. Quand l’armée eut fini ses actions de grâces, elle traversa cette voie glacée et ceux des nôtres qui purent passer, avant que le dieu lançât ses rayons, eurent la vie sauve. Mais bientôt l’orbe ardent du soleil échauffa le milieu du fleuve et rompit ses blocs, et tous roulèrent les uns sur les autres, et les plus heureux furent ceux qui furent engloutis le plus vite. Ceux qui survécurent se sauvèrent à grand’peine à travers la Thrace mais bien peu sont revenus dans les foyers de la patrie. Que l’Empire gémisse, regrettant sa très chère jeunesse ! Voilà