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Page:Paul de Saint-Victor - Les deux masques, tome 1.djvu/26

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ESCHYLE.

par sa beauté et par son mystère, par la vapeur de rêve qu’il exhale, par la licence et le vertige de son culte. L’énigme même de sa nature ambiguë, à la fois génératrice et féconde, les attire en les inquiétant. Mâle formidable à certains moments, androgyne en d’autres, presque féminin. Les deux sexes se fondent dans les molles ondulations de ses formes : ses bustes font souvent hésiter l’œil de l’archéologue : Discrimen obscurum. Toutes sont à lui, il est tout à toutes ; ses maîtresses asiatiques et grecques tariraient la force d’Hercule. Il leur jette son thyrse comme un mouchoir de sultan, puis les délaisse ou les brise : beaucoup meurent de ses amours orageux. Comme le bûcher de Sardanapale, le char de Bacchus est fait d’un monceau de femmes palpitantes qu’il opprime et qu’il ravit à la fois.

Au milieu de ce cortège démoniaque, Bacchus s’élève et triomphe, tel que la sculpture et la peinture antique l’ont représenté tant de fois : érotique et héroïque, imberbe et superbe, l’œil mouillé d’une langueur ardente, les hanches arrondies, la poitrine unie et sans muscles, l’air songeur et enivré. Ses cheveux de vierge flottent en longues boucles une peau de faon tachetée, emblème du ciel étoile, glisse sur sa nudité juvénile ; ses pieds sont chaussés de splendides cothurnes. Il tient la férule enveloppée de pampres, sceptre hiératique de sa royauté. Quel-