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PROMÉTHÉE ENCHAÎNÉ.

l’énergie de la volonté. La question du chevalet étendu aux proportions d’une montagne, ne lui a pas arraché l’aveu d’une défaite, la réponse d’un gémissement. Il a ravalé ses pleure et mangé son fiel. Une statue qu’on soude à son piédestal n’est pas plus muette que le Titan cloué sur son rocher.

Mais quand ses bourreaux sont partis, une clameur immense sort de sa poitrine. C’est la protestation du droit vaincu contre la force écrasante, de la justice opprimée contre l’iniquité qui triomphe. Prométhée ne prend point à témoins les hommes : trop épars, trop faibles encore, ils sont d’ailleurs hors de sa vue et de son approche. Zeus a fait autour de lui le désert, il l’a crucifié dans la solitude. L’horizon que domine sa croix renversée n’est peuplé que de rochers et d’arbres, de bêtes et de plantes. Pas d’autres regards que ceux des astres, pas d’autre foule que celle des flots, pas d’autres voix que celle des vents autour de sa sombre agonie. Ce sont ces témoins muets qu’il invoque, c’est cette Nature qu’il atteste et à laquelle il ouvre son sein déchiré.

« Ô divin Ether, Vents aux ailes rapides, Sources des fleuves, rires innombrables des flots de la mer ! Et toi, Terre, mère de toutes choses Et toi aussi, Soleil, qui vois tout ! je vous atteste ! regardez-moi ! Voyez ce que, dieu moi-même, je souffre par les dieux ! Voyez ces outrages, et combien je devrai gémir durant des années innombrables ! Le nouveau maître des Heureux a forge pour moi cette chaîne