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ESCHYLE.

affreuse. Hélas ! Hélas ! je me lamente sur le mal présent, sur le mal futur… J’ai fait du bien aux hommes, et me voici lié à ces tourments. J’ai pris pour eux, comme à la chasse, l’étincelle, source de la flamme. J’ai emporté dans une férule creuse, le Feu, maître de tous les arts, le plus grand bien dont puissent jouir les vivants. C’est pour ce crime que je souffre, suspendu en l’air par ces chaînes. »

Les éléments attestés sont devenus plus tard une formule de prosopopée poétique. Pour le Prométhée d’Eschyle, cet appel grandiose s’adresse à des êtres de même sève et de même substance que la sienne. Fils aîné de la création, consubstantiel à la terre, il est resté plein d’elle en s’en détachant. Une parenté primordiale l’unit intimement à toutes les puissances physiques qu’il implore, et dont il est la figure. Il y a de l’atmosphère dans son haleine, de la montagne dans sa stature, du feu souterrain dans la chaleur de ses veines. Aussi toute la nature va-t-elle s’ébranler et souffrir en lui, comme la racine tressaille et souffre des blessures du chêne mutilé. La vie universelle se sent atteinte dans son corps meurtri, ses chaînes pèsent sur le monde entier. — « Le flot marin mugit en tombant sur le flot. Le gouffre gémit. Les sombres profondeurs de l’Hadès frémissent sous la terre. Les fleuves sacrés pleurent sur ce supplice lamentable. »

Voilà déjà qu’un battement d’ailes monte vers le captif. C’est comme un long essaim d’oiseaux qui