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ESCHYLE.

mes à l’autel, sous le couteau du devin. — Un lien secret dont on ne distingue que le nœud, relie la volupté à la cruauté. L’Amour lui-même, selon les poètes, n’est-il pas frère de la Mort ?

À l’enthousiasme des orgies bachiques, succède donc une furie tragique : le vin du meurtre après le vin de l’excès. Les Bacchantes, aiguillonnées par les serpents qui les ceignent, fouillent, avec des abois de meute, le fond des forêts ; elles égorgent les lionceaux et les chevreuils pris au gîte, et se taillent des robes dans leurs peaux sanglantes. Elles envahissent les vallées, massacrent pêle-mêle troupeaux et pasteurs, et dépècent à vif les taureaux, dont elles avalent la chair pantelante. Malheur au divin Orphée s’il s’égare au milieu de la horde horrible ! Les chiennes de Bacchus le déchireront comme une proie ; elles sèmeront par les champs ses membres meurtris, et sa tête tranchée, où l’âme mélodieuse chante encore, ira rouler dans les eaux du fleuve.

Bacchus prend quelquefois part aux pompes et aux ébats de ses fêtes. Armé de deux flambeaux qu’il entrechoque violemment, il conduit alors, avec des bonds surhumains, les chœurs de la danse. Mais le plus souvent, spectateur tranquille des transports qu’il a déchaînes, il y assiste majestueux et grave, tenant toujours ses flambeaux dressés, avec l’inexprimable mélancolie que la légende chrétienne