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PROMÉTHÉE ENCHAÎNÉ.

— Qu’il prenne garde de se compromettre à son tour, qu’il reste en repos. À quoi bon avoir quitté la retraite qui sied à son âge ? Toute entremise serait inutile. Sa visite pourrait être mal vue là-haut, et la disgrâce est une contagion. — Océanos poursuit son discours : une sourde impatience agite visiblement le Titan, il se débat sous le froid verbiage du dieu aquatique, comme s’il subissait la question de l’Eau. Par instants, on croit entendre dans ses répliques, un remuement de chaînes irritées. — « Prométhée, ne sais-tu pas que les paroles sont les médecins de cette maladie, la colère ? » s’écrie le vénérable grondeur. Il lui répond amèrement « Oui, si l’on applique à propos le remède à l’esprit malade, si l’on ne froisse point, en la touchant, la tumeur du cœur courroucé, » — Océanos s’aperçoit enfin qu’il perd sa sagesse ; prend congé de l’incorrigible avec le dépit d’un donneur d’avis mal reçus. — « Tu me renvoies par cet accueil, Prométhée : ta destinée sera ma leçon. » — Il n’était que congédié ; sur ce propos, un renvoi méprisant le chasse. — « Va ! hâte-toi ! Pense toujours ainsi. »

Le bon Océanos remonte alors sur son Dragon domestique, « désireux de regagner son étable ». On le suit des yeux, cheminant par les airs, au dos du monstre placide, aussi paisiblement qu’un dieu de l’Inde, porté par la tortue sacrée, sur la Mer de lait.