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PROMÉTHÉE ENCHAÎNÉ.

ensuite incarné, comme tant d’autres, ce symbole antique. La Lune s’était faite femme, le Ciel avait pris les traits humains du roi de l’Olympe, le monde sidéral s’était concentré dans les cent prunelles qui jonchaient le corps du berger nocturne ; la révolution de l’astre autour de la terre était devenue la fuite d’une vierge aux abois.

C’est cette table dramatisée qu’Eschyle met en scène, c’est comme victime de Zeus qu’il lance Io au pied du rocher où gît le Titan. Leur rapprochement n’a rien d’arbitraire, un double lien les rattache : Io souffre de l’amour du Dieu comme Prométhée de sa haine. Elle tient aussi à Prométhée par sa future délivrance, car le héros prédestiné à rompre ses chaînes, Hercule, naîtra de la race qu’elle doit enfanter. — « C’est de toi lui — dit-il plus tard, — qu’après treize générations, sortira l’illustre Archer qui m’affranchira de mes maux. » — En dehors même des rapports qui les unissaient, une idée sublimement tragique ressortait du contraste de ces deux supplices : le mouvement forcené se heurtant à l’immobilité opprimée, la femme errante jetée en face du dieu enchaîné.

Rien d’enrayant comme l’irruption essoufflée de la sombre vierge, haletante de fatigue, ivre de souffrance, torturée par cet imperceptible dard du moustique qui arrache aux lions des cris plus furieux