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PROMÉTHÉE ENCHAÎNÉ.

peux sans péril. » — « Il célébrera des noces déplorables.  » — « Avec une déesse ? Avec une mortelle ? Parle, s’il est permis. » — « Qu’importe avec qui ? Cela, je ne dois point le révéler. » — « Et par cette épouse, il tombera du trône ? » — « Elle enfantera un fils plus fort que son père. » — « Et il ne peut détourner de lui cette destinée ? » — « Non, pas avant que je sois délivré de ces chaînes. »

Ce secret dont Eschyle donnait le mot dans le dernier drame de sa trilogie, nous est révélé par Pindare ; il provient sans doute d’une légende ancienne dont le sens reste à moitié perdu. Dans sa septième Isthmique, le poète thébain raconte que Zeus et Poséidon se disputaient Thétis, la belle nymphe marine, que chacun d’eux voulait épouser. Mais Thémis, la déesse fatidique, identifiée plus tard à la Justice, fit entendre la voix du Destin dans les conseils de l’Olympe. — « Il est écrit, dit-elle, que si la fille de l’Océan s’unit à Zeus ou à son frère, elle enfantera un fils plus puissant que son père, et dont la main brandira une arme plus terrible que la triple foudre ou que l’invincible trident. Renoncez donc à vos projets ; que Thétis entre dans la couche d’un mortel, et de cette union naîtra un fils vaillant comme Arès, rapide comme l’éclair, mais que sa mère verra périr dans les combats. » — Eschyle, pour les besoins de son drame, substitue Prométhée à Thémis dans la possession de ce grand secret. Il respecte cependant la légende antique, en lui don-