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GRANDEUR ET DÉCADENCE DE BACCHUS.

quel est ce Dieu puissant que vous avez saisi et lié ? La nef solide ne peut le porter. Déposons-le aussitôt sur la terre ferme, et ne portez pas les mains sur lui, de peur qu’il ne soulève sur nous le tourbillon des grands vents. » — Mais le chef ne veut rien entendre : — « Malheureux ! Fais attention au vent propice, et sers-toi de ta voile et de tous les agrès de la nef à la fois. Nos hommes veilleront sur celui-ci. J’espère que nous l’emmènerons en Égypte, ou a Chypre, ou chez les Hyperboréens, ou plus loin encore, et qu’il nous dira enfin quels sont ses amis, et ses trésors, et ses parents, puisqu’un dieu nous l’a envoyé. » — Cependant Bacchus, qui sourit toujours, murmure une incantation ; et voici le vaisseau livré aux prestiges et aux sortilèges. Une vigne s’abat du haut des voiles, chargée de fruits mûrs ; une treille se recourbe sur le gouvernai] un lierre gigantesque grimpe au mât comme au tronc d’un chêne, et un dragon volant s’enroule autour de son long feston. Les chevilles des avirons se parent de couronnes, la carène s’ouvre comme la bonde d’une tonne et vomit un vin pourpré qui rougit les ondes. En même temps, un lion paraît et rugit horriblement à la poupe ; un ours s’élance de la cale, et court sur le pont, gueule béante. Les rameurs sentent leurs rames glisser et serpenter dans leurs mains ; les cordages sifflent et dressent vers le ciel des têtes