Page:Paul de Saint-Victor - Les deux masques, tome 1.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27
GRANDEUR ET DÉCADENCE DE BACCHUS.

écraserait l’Hydre, dont la trompe broierait la Chimère, des dieux à six têtes et à douze bras, des ascètes qui peuvent, en marmottant un monosyllabe ineffable, faire tomber les astres du ciel. Son armée s’est faite à l’image de ce monstrueux adversaire. Les Satyres ont enfourché des taureaux sauvages, et mugissent à leur unisson ; les Ménades, la bouche ouverte par une clameur perpétuelle, chevauchent des ours et des léopards qu’elles fouettent avec leurs serpents ; les Centaures piaffent et hennissent, les Curètes sonnent de leurs boucliers, les Telchines dardent leur « mauvais œil » et secouent leurs mains pleines de maléfices ; les Cyclopes aux bras flamboyants agitent, en guise de glaives, d’énormes rochers. Pan, entouré de ses chiens hurleurs, que ses Ægipans tiennent en laisse, est le tacticien de l’armée : il l’a divisée en phalanges, il a inventé l’aile droite et l’aile gauche qui se rabattront sur l’ennemi comme l’envergure d’un oiseau de proie. Dans sa poitrine velue réside la Panique dont le cri débande les cohortes et précipite les déroutes. Sous cet aspect effrayant, le Thiase guerrier de Bacchus garde un air de fête pastorale. Partout des chants de fifres et de chalumeaux, des coupes qui circulent, des danses qui bondissent, des mascarades qui s’ébattent : cette armée en marche ressemble à un retour de vendanges. Les Indiens se