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GRANDEUR ET DÉCADENCE DE BACCHUS.

et tous ces symboles qui ne tiendraient pas sur le plus haut obélisque ne décorent qu’un sépulcre vide. L’Orphisme condamnait les impies à puiser aux Enfers de l’eau dans un crible ; c’est l’image de ses mystagogues s’acharnant à remplir de leurs spéculations et de leurs systèmes un dieu sans fond, à force d’avoir été élargi. — Un roman carlovingien raconte qu’un chevalier héritait de la force de tous les guerriers qu’abattait sa lance : Bacchus hérite des attributs des dieux qu’il supplante, mais non de leur force qui n’existait plus. Ces proies n’étaient que des ombres, des souffles, des résidus, des fumées ; elles l’enflaient démesurément sans le soutenir. Lui-même, blasé et usé par tant de vicissitudes et d’excès, n’est désormais qu’un fantôme. Il n’en peut plus, comme un vieux roi, au bout d’un règne trop long et trop agité. Son absorption incessante est celle d’un abîme inconscient des êtres et des choses qui s’engloutissent sourdement dans sa cavité.

Bacchus fit une triste fin dans le monde antique : les prêtres d’Orphée avilis, tombés, avec le temps, dans les bas-fonds de la bohème religieuse, l’exploitèrent misérablement. Ils firent de lui un dieu simoniaque et une idole de rapport. Sacrificateurs ambulants, diseurs de bonne aventure, marchands d’amulettes, de charmes, de remèdes miraculeux, de rites et d’orviétans expiatoires, ils le menaient