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GRANDEUR ET DÉCADENCE DE BACCHUS.

enfants volés, et les font cuire à grand feu, dans la marmite de leurs enchantements.

Bacchus-Satan, assis jambes pendantes, sur une table de pierre que des cierges noirs illuminent, trône, impassible, sur l’abjecte orgie. Sa face est celle d’un bouc noir à physionomie vaguement humaine, le poil hérissé, les yeux ronds et fixes, les mains aux doigts tous égaux et recourbés en griffes d’oiseau de proie. — Quelquefois aussi, il prend l’aspect d’un tronc d’arbre sans pied, surmonté d’un masque livide ; réminiscence difforme de son effigie pastorale. Mais, quelle que soit la figure qu’il prenne, les historiographes du Sabbat constatent tous sa morne tristesse et son air d’ennui méprisant. Sans doute le Dieu déchu, tombé de sa gloire hellénique dans cette basse sorcellerie gothique, se rappelait alors ses fêtes lumineuses, ses triomphes au soleil de l’Inde, ses autels couronnés de roses, les belles danses de nymphes et d’éphèbes que dirigeait son sceptre fleuri, ses fraîches vendanges de l’Archipel accompagnées par le rire éclatant des flûtes. Et, comme dit Homère : « Il gémissait et s’attristait dans son cœur. »

Une légende musulmane raconte que Moïse, chassé par une peuplade sauvage de la citerne où il menait boire ses chameaux, changea en singes ces hommes inhospitaliers. Ils habitent, depuis leur