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ESCHYLE.

cour, le double Masque de la scène était d’avance empreint sur son front.

D’autres virtualités le prédestinaient encore à la création du théâtre. Dieu poète et musicien, Bacchus l’était presque autant qu’Apollon lui-même. Quelquefois amis, plus souvent rivaux, leurs deux écoles divisaient l’art et le génie de la Grèce. La grande lyre dorique, pure et grave, socle harmonieux de la parole, interlocutrice respectueuse du chant qu’elle se gardait de couvrir, haïssait la flûte turbulente, aussi propre à faire extravaguer la joie que le deuil, dont les cris aigus emportaient comme un vent d’orage la voix du chanteur. Le rythme prenait, avec elle, un ton de délire. Au temps même d’Eschyle, Pratinas invectivait encore l’insolente musique qui coupait la parole à la poésie.

« Quel est ce tumulte ? pourquoi ces danses ? Quels sont ces transports déréglés qui envahissent l’autel de Dionysos ? C’est à moi, à moi que le Bruyant appartient ! à moi qu’il convient de célébrer, dans des hymnes sonores, les courses du dieu sur la montagne, au milieu des nymphes. C’est le Chant que la muse a sacré et qu’elle a fait roi. Que la flûte se résigne à le suivre de loin, dans le chœur, car elle n’est que la servante. Le Coinos avec le tapage aux portes et les pugilats des jeunes gens avinés, telle est la digne armée d’un pareil stratège. Frappe cette Phrygienne qui prétend dominer les chants harmonieux du poète ; brûle ce roseau qui dessèche les lèvres, dont la voix criarde outrage le rythme et la mélodie, dont le corps a besoin de la tarière pour se façonner. Voici, ô Roi du Dithyrambe, voici des mouvements