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ESCHYLE.

nait, dit-on, lui dicter en songe ses tragédies. Athénée et Plutarque le raillent même d’avoir été trop plein de son dieu. Ils disent qu’il buvait pour exciter son génie, que le vin était l’huile de ce feu sacré. Ces ivresses d’Eschyle ne nous offensent pas. Le vin a une âme lorsqu’on croit qu’une force divine y fermente ; c’était cette âme que buvait Eschyle, et dont il enflammait son esprit. Les vapeurs de la coupe étaient pour lui ce qu’étaient pour la Pythie les fumées du trépied delphique. Quoi qu’il en soit, il est certain que l’enthousiasme dionysiaque fut une des grandes inspirations du génie d’Eschyle. On ne compte pas moins de neuf tragédies bachiques dans la nomenclature de ses œuvres, sans compter les drames satyriques. Toutes ont péri, et le pur esprit, le fumet religieux et capiteux des orgies sacrées s’est évaporé avec elles. Les Bacchantes d’Euripide, si admirables pourtant, ne nous donnent que le regain de ces vendanges prodigieuses. On peut juger, par les fragments qui en restent, de leur magnificence et de leur fureur. Ces fonds d’amphores brisées exhalent un parfum d’une violence qui enivre encore. Le vin ruisselle, splendide comme une pourpre, sur ces lambeaux de strophes décousues, comme sur la robe déchirée et éclaboussée des Ménades.

« C’est la divine Cottys, » s’écriait-il dans ses Édoniens, — « et son cortège armé d’instruments d’orage !