Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/218

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

amusement dans les mécomptes d’autrui. Ces bourgeois, sur le pas de leur porte, clignent de l’œil derrière vous ; ces apprentis derrière l’établi se montrent du doigt votre ridicule et vont gloser. On n’entre jamais ici dans un atelier sans inquiétude ; fussiez-vous prince et brodé d’or, ces gamins en manches sales vous auront pesé en une minute, tout gros monsieur que vous êtes, et il est presque sûr que vous leur servirez de marionnette à la sortie du soir.

« Ce sont là des raisonnements de voyageur, tels qu’on en fait en errant à l’aventure dans des rues inconnues ou en tournant le soir dans sa chambre d’auberge. Ces vérités sont littéraires, c’est-à-dire vagues ; mais nous n’en avons pas d’autres à présent en cette matière, et il faut se contenter de celles-ci, telles quelles, en attendant les chiffres de la statistique, et la précision des expériences. Il n’y a pas encore de science des races[1], et on se risque beaucoup quand on essaye de se figurer comment le sol et le climat peuvent les façonner. Ils les façonnent pourtant et les différences des peuples européens, tous sortis d’une même souche, le prouvent assez. L’air et les aliments font le corps à la longue ; le climat, son degré et ses contrastes produisent les sensations habituelles, et à la fin la sensibilité définitive : c’est là tout l’homme, esprit et corps, en sorte que tout l’homme prend et garde l’empreinte du sol et du ciel ; on s’en aperçoit en regardant les autres animaux, qui changent en même temps que lui, et par les mêmes

  1. Une société d’anthropologie vient de se fonder à Paris, par les soins de plusieurs anatomistes et physiologistes éminents, MM. Brown-Sequard, Béclard, Broca, Follin, Verneuil. — Note de Taine.