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Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/219

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causes ; un cheval de Hollande est aussi peu semblable à un cheval de Provence qu’un homme d’Amsterdam à un homme de Marseille. Je crois même que l’homme, ayant plus de facultés, reçoit des impressions plus profondes ; le dehors entre en lui davantage, parce que les portes chez lui sont plus nombreuses. Imaginez le paysan qui vit toute la journée en plein air, qui n’est point, comme nous, séparé de la nature par l’artifice des inventions protectrices et par la préoccupation des idées ou des visites. Le ciel et le paysage lui tiennent lieu de conversation ; il n’a point d’autres poèmes ; ce ne sont point les lectures et les entretiens qui remplissent son esprit, mais les formes et les couleurs qui l’entourent ; il y rêve, la main appuyée sur le manche de la charrue ; il en sent la sérénité ou la tristesse quand le soir il rentre assis sur son cheval, les jambes pendantes, et que ses yeux suivent sans réflexion les bandes rouges du couchant. Il n’en raisonne point, il n’arrive point à des jugements nets ; mais toutes ces émotions sourdes, semblables aux bruissements innombrables et imperceptibles de la campagne, s’assemblent pour faire ce ton habituel de l’âme que nous appelons le caractère. C’est ainsi que l’esprit reproduit la nature ; les objets et la poésie du dehors deviennent les images et la poésie du dedans. Il ne faut pas trop se hasarder en conjectures, mais enfin c’est parce qu’il y a une France, ce me semble, qu’il y a eu un La Fontaine et des Français. »

Mon Dieu oui ; seulement il y a une France pour tout le monde, la France luit pour tout le monde, et tous les Français, s’ils seront toujours français, ne sont pas