Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/393

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beaucoup plus vieux mais moins informe que les célèbres « chants grossiers des Frères Arvales », était doux et bon comme un retour de strophe, ce refrain mutuel fonctionnait comme une complicité.

Tout le monde entendait parfaitement ce que cela voulait dire : que l’on n’y voyait plus rien, que l’on n’y voyait plus clair, que l’on était absolument perdu, comme en forêt, que l’on n’y comprenait absolument plus rien. Depuis je suis allé dans l’ancienne École Normale, et remis aux mains du noble vieillard l’ancien M. Tournier, j’ai appris qu’on donne un tout autre nom, un nom bizarre, aux passages que l’on ne comprend pas, quand on veut précisément signifier qu’on ne les comprend pas : on les nomme alors des passages interpolés. Et il ne s’agit plus que de trouver des leçons. Et quand on ne trouve pas des leçons, on fait des conjectures. On nomme leçons les conjectures qui sont dans les manuscrits, et conjectures les leçons qui ne sont pas dans les manuscrits.

ὡς τοῖσιν ἐμπείροισι καὶ τὰς ξυμφορὰς
ζώσας ὁρῶ μάλιστα τῶν βουλευμάτων.

C’est à de tels passages que les traducteurs deviennent sages, vagues, suprêmes, et que les gloires aujourd’hui les mieux consacrées à l’origine se firent prudentes. Leconte de Lisle, Sophocle, II, Oidipous-Roi : car je sais que les sages conseils amènent les événements heureux. Il comprend son français, celui-là, mais je voudrais bien savoir comment il fait son mot-à-mot, et ce qu’il fait de καὶ et de μάλιστα ; et de τοῖσιν ἐμπείροισι, et du datif, et de toute l’articulation de la phrase, et de tout. Mais allez donc demander son mot-à-mot à Leconte