Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/93

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dans la grandiloquence que parce qu’ils ont un besoin de monter jusqu’à la grande éloquence, et qu’ils ne savent pas toujours ; c’est le propre de cette grandeur qu’est la misère de n’avoir pour ainsi dire jamais été choisie, élue, voulue, préparée ; c’est une grandeur involontaire, venue du destin, non préparée : de là cette gaucherie haute, cette insolence prétentieuse des têtes désignées ; les misérables sont investis d’une grandeur qu’ils n’avaient pas demandée ; ils sont condamnés par la force des événements à jouer la vie au tragique sans avoir le tempérament ou le génie tragique ; ils jouent faux ; ils jouent mélodramatique au lieu de jouer tragique : et l’on croit que leur vie est mélodramatique ; mais elle est tragique tout de même : c’est l’expression qui manque. Même il se produit parmi les misérables un phénomène assez analogue à celui qui se produit parmi les grands : de même que les grands héréditaires ont une aisance que les parvenus n’ont pas, de même les misérables héréditaires ont une aisance que n’ont pas les naufragés de la vie ; les familles de miséreux se tiennent mieux devant la misère. Je ne parle pas des fatalistes ; et combien d’orgueil encore, et de hauteur, dans le fatalisme.

On lui a reproché d’avoir un langage précieux. L’auteur a bien entendu. Je connais les primaires. Non seulement je fus élevé à l’école primaire, de sept à onze ans, mais cette école était l’école primaire annexe à l’école normale primaire, à l’école normale d’instituteurs du département. Sous la direction d’un instituteur particulièrement choisi, les élèves-maîtres venaient chaque semaine, chacun son tour, nous faire la classe.