Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/320

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devant soi comme d’immenses montagnes, fait devant soi des montagnes infranchissables. Tout ce qu’on a dit est comme rien. Une eau qui s’écoule, un creux, un rien dans le creux de la main. Une eau qui s’est déjà écoulée, dont il n’est plus question. Tout ce qu’on n’a pas dit (encore, et tout ce qu’on ne dira jamais) fait devant vous des montagnes infranchissables. Des montagnes et des montagnes. Tout ce qu’on a passé n’est rien. Devant tout ce qui reste à passer. Et on se sent tout petit. On est si petit devant la réalité, si petit bonhomme. J’admire ces grands intellectuels qui du fond de leur moleskine mènent la réalité à coups de bâton. Ça a beau être un bâton de commandement. On se sent si petit, si totalement insuffisant. On voit si bien que Péguy c’est tout petit, on mesure si bien la vie, la carrière (de travail) de Péguy. On en voit si bien le bout, tous les bouts, la largeur, le lai. (ou le ). Et que ce n’est rien. Comme le disaient les bonnes femmes, ce n’est pas du drap dans les grandes largeurs. Alors dans cette détresse pour se rassurer on parle de ses projets. On aime avoir quelqu’un à qui on parle de ses projets. Une oreille amie, (un cœur ami), une entente, une audience amie. On ne le fait pas seulement pour se donner du courage. Et de la consolation. Une sorte de consolation anticipée, prématurée. Une consolation d’avant. D’autant meilleure. D’autant plus chère. Ce que l’on veut se donner, ce que l’on se donne ainsi, plus profondément c’est une autre sorte d’anticipation, l’anticipation de l’insertion dans la réalité, produite, de cette œuvre que l’on tient toute, que l’on croit tenir toute, que pourtant l’on ne tient pas, puisqu’elle n’est pas produite, qui n’est pas produite, qui n’est pas