Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/431

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et respectant le coup par vous-même ordonné,
Vous rendre tout le sang que vous m’avez donné.


Il n’y a pas un mot, pas un vers, pas un demi-vers, pas un membre de phrase, pas une conjonction, il n’y a pas un mot qui ne porte pour mettre l’adversaire, (le père), dans son tort. Le dialogue racinien est généralement un combat, (on pourrait dire constamment un combat) ; dans le dialogue racinien le partenaire est généralement, constamment un adversaire ; le propre du personnage racinien est que le personnage racinien parle constamment pour mettre l’adversaire dans son tort, ne se propose que de mettre l’adversaire dans son tort, ce qui est le commencement même, le principe de la cruauté. Les personnages cornéliens au contraire, qui sont la courtoisie, la générosité même, même quand il ne veut pas, même quand ils ne veulent pas, ne parlent jamais que pour mettre l’adversaire, le partenaire, l’ennemi même dans sa raison, et ensuite vaincre libéralement cette raison.

Tout est adversaire, tout est ennemi aux personnages de Racine, ils sont tous ennemis les uns des autres et ils ne parlent jamais que pour mettre l’adversaire dans son tort et ainsi justifier d’avance ensemble, en dedans, les cruautés qu’ils exerceront sur lui, comme lui-même a déjà justifié les cruautés qu’il exercera sur eux.

Les victimes de Racine sont elles-mêmes plus cruelles que les bourreaux de Corneille. Ces pauvres bourreaux de Corneille ne réussissent point à être réellement cruels. Ils ne le sont point naturellement, sincèrement. Ils ignorent le raffinement, qui est toute la cruauté. Le raffinement ne leur vient point. Ils n’en ont pas le goût,